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Pour une nouvelle ruralité : le champ des possibles
Carole DELGA – Députée PS de Haute-Garonne, Secrétaire nationale à l'égalité des territoires
Aujourd'hui coexistent dans nos esprits deux visions du monde rural, deux visions qui courent le risque d'être aussi stériles l'une que l'autre pour l'avenir. A la veille d’un nouvel acte de la décentralisation, nous devons renouveler notre regard pour inventer une nouvelle ruralité.
Pour les uns, l'espace rural doit rompre avec la croissance démographique qui a caractérisé ces dernières décennies. Cette croissance est un leurre car elle est alimentée aux trois quarts par l'étalement urbain. Dit autrement les "nouveaux habitants" sont d'abord des personnes qui font un pas de côté à la fois par choix d'un mode vie, "une parcelle d'autonomie", et par la contrainte du coût de l'habitat dans les centres où ils travaillent.
Pour les autres, la poursuite de la croissance démographique est le mouvement "naturel" de l'espace rural, la marque de sa vitalité Elle alimente le cycle vertueux qui, selon les cas, maintient ou développe les services utiles à une bonne qualité de vie des habitants. Arrêter ce mouvement c'est "chuter" et ouvrir le spectre de la désertification.
Ces deux discours puisent des arguments dans des réalités extrêmement contrastées. Quoi de commun entre ces lotissements champignons qui poussent dans "l'entre deux" des champs et des villes et le semis des villages enracinés loin des mobilités périurbaines ? Quoi de commun si nous élargissons notre regard entre les espace ruraux des régions en croissance - arrières pays de l'arc atlantique ou Piedmont lyonnais - et ceux des diagonales arides - Cantal ou Ardennes post-industrielles ?
Au-delà des contextes, notre cœur balance et notre parole hésite parce que nous pressentons que les deux postures actuelles sont des écueils.
Écueil de la poursuite d'un urbanisme de la demande qui artificialise les sols, masque le coût des réseaux et de la mobilité et capte de nouveaux résidents sans liens solides avec leur environnement naturel et humain.
Écueil également d'une société qui, fascinée par le "fait urbain", semble oublier que le maintien des fonctions vitales du monde rural ne résiste pas au retrait de ses forces vives.
La vérité, c'est qu'une troisième voie est possible ! Elle concilie l'urgente obligation de préserver les biens communs - ressources naturelles et moyens publics - et celle de renouveler les générations rurales.
Trois actes doivent être posés pour réussir cette renaissance.
Premier acte : rééquilibrer la croissance démographique
La planification de l'habitat doit se faire au bénéfice des espaces ruraux les plus éloignés et des cœurs de ville. Elle suppose que soient posées des limites dans les premières couronnes périurbaines.
Nous devons, par ailleurs, rompre avec une vision dépassée du développement sur le modèle « centre-périphérie » (ou « métropole-désert français ») et choisir le maillage polycentrique comme modèle d'aménagement du territoire. Les SCOT peuvent être les instruments de cette nouvelle donne.
Deuxième acte : partager les moyens publics
A rebours des promesses sans lendemain, le maillage des services à la population devra traduire un nouvel équilibre entre la maitrise du coût public et l’égalité des chances pour l’ensemble des habitants.
Les outils de péréquation et de développement "traditionnels" doivent être modernisés à l'instar du FISAC ou des programmes LEADER.
D'autres doivent naître pour accompagner la reconquête du cœur de nos villages et de nos bourgs. Pour donner crédit à cette volonté, nous devons imaginer une mission renforcée des EPF, en partenariat avec les SAFER pour, en amont, donner une maîtrise publique du foncier aux collectivités. Des conventions cadres avec les bailleurs sociaux doivent rendre possible des programmes de logements "mixtes". Enfin et surtout, une aide à la pierre équivalente à celle des politiques urbaines doit permettre l'équilibre financier des opérations de rénovation rurale.
Troisième acte : l'innovation publique dans la relation ville-campagne.
Nous devons sortir des prés carrés dans la décision publique et de la désinvolture quant à l'argent public. Les citoyens attendent des politiques qui intègrent les nouvelles manières d'habiter à la fois l'espace rural et urbain. Mobilité durable, schéma des services et des équipements publics et privés : vivre et investir autrement est une chance pour le pouvoir d'achat, le bilan carbone mais aussi la qualité de vie !
A ces trois actes qui sont autant de choix politiques majeurs, nous devons ajouter une conviction : il n'y aura pas de croissance qualitative pour nos espaces sans une nouvelle génération d'entrepreneurs ruraux. Les sources de valeurs ajoutées inexploitées sont immenses: marché de produits agroalimentaires de qualité, production d'énergie renouvelables, tourisme et loisirs à taille humaine, émergence d'une culture "naturaliste", réseaux de petites entreprises créatrices de biens et de services. La Loi d'avenir agricole vise, pour ce qui la concerne, à redonner sa chance à l'emploi en milieu rural.
Contrairement aux illusions démographiques et autres idées reçues, le véritable choix oppose donc la vision d'une zone résidentielle régulée par le seul marché au milieu d'un espace productif "hors sol" à celle d'un espace rural habité de façon plus dense sur le plan de l'urbanisme, de l’économie comme du lien social.
En ce début de 21ème siècle, un changement de paradigme s'impose. L'image de l'arbre peut nous aider à le saisir. Vu du ciel, sa représentation met au même plan racines et feuillages ; elle illustre le maillage géographique français dans sa diversité. Le tronc est le symbole de la ville moderne par sa densité et sa fonction structurante. Les espaces ruraux en sont les indispensables racines : eau, air, énergie, alimentation... Les branches illustrent le maillage de l’urbanité rurale. Un territoire d'avenir est comme un arbre dont le tronc et le branchage sont équilibrés. Un arbre où la sève circule bien, des racines jusqu’aux feuilles. Cela suppose quelques bonnes tailles et... un juste partage des fruits !
Alors, comme un seul arbre, sommes-nous tous devenus habitants d’espaces dépendants les uns des autres ? Autrement dit, sommes-nous tous « habités » ou du moins concernés par la nouvelle donne métropolitaine ?
C’est possible, si, unis dans la diversité, nous sommes acteurs d'un système multipolaire, et s'il s'agit de rompre avec la limite du cadastre rural comme avec une certaine folie des grandeurs urbano-centriques.
C’est possible, s'il s'agit d’inventer un style de vie associant des enracinements multiples dans des espaces urbains et ruraux de toute évidence complémentaires.
C’est possible, enfin, si des conditions de vie dignes et équitables sont recherchées pour tous ceux qui sont exclus, à la ville comme à la campagne…
L’équilibre entre la "vie moderne" et un écosystème durable passe par un nouveau pacte d'aménagement du territoire. Il doit contribuer à réduire les fractures territoriales qui, ajoutées aux inégalités sociales, fragilisent la citoyenneté et par là même la promesse Républicaine.