La Tribune : Pourquoi lancer ce plan Ecophyto II alors que le premier avait déjà pour ambition de réduire de moitié l'utilisation des pesticides d'ici 10 ans?
Cet objectif a été fixé dès le Grenelle de l'environnement en 2008. Cinq an après, suite au rapport que nous avons mené sur le plan Ecophyto I, nous avons constaté que non seulement l'utilisation des pesticides n'a pas diminué, mais qu'elle a augmenté. On peut parler d'un échec de ce premier plan mais en analysant ses causes, nous avons pu faire des propositions pour le deuxième, dont les derniers arbitrages seront rendus dans les prochaines semaines.
Qu'est-ce qui explique un tel échec?
L'agriculture est comme un paquebot lourd. Il faut plus de cinq ans pour la faire changer de cap. Pendant cette période, il y a néanmoins eu une prise de conscience, la création d'une boite à outils et une accélération de la formation des agriculteurs pour faire évoluer leurs pratiques. 200.000 ont été par exemple formés à l'utilisation en sécurité des produits phytopharmaceutiques. Nous avons également mis sur pied un réseau de fermes Dephy, véritable laboratoire qui a démontré que la réduction des pesticides dans les cultures n'empêche pas de bons rendements. Tous ces outils produiront leurs effets le moment venu.
Les difficultés sont aussi venues d'une conjonction de plusieurs facteurs. D'abord une météo propice au développement des agresseurs conjuguée à des cours de céréales élevés qui poussaient à la productivité. Mais on constate aussi qu'il y a une végétalisation de la ferme France : moins d'élevage, moins de polyculture. Un processus de spécialisation végétale qui a réduit la surface de prairies non consommatrices de pesticides et appauvrit la diversité des cultures. Cette spécialisation est d'abord due à un agrandissement des exploitations et se traduit par un recours aux solutions augmenté phytopharmaceutiques.
Quels sont les grands axes de ce nouveau plan?
Après un rapport de force de plus d'un an avec une partie de la profession agricole, nous avons dégagé trois dynamiques importantes. D'abord une attention particulière portée au machinisme et tout ce qui touche à l'agro-équipement. 30 millions d'euros supplémentaires vont pour l'essentiel être mobilisés pour moderniser le parc de matériel agricole français afin de prendre part au saut technologique actuel. L'agriculture de précision permet en effet de diminuer de 20% l'utilisation des pesticides grâce à ses outils performants.
L'autre levier qui va être actionné est celui du bio-contrôle, qui représentera jusqu'à 15% des solutions d'ici quelques années. Il s'agit par exemple d'insectes introduits à la place de produits chimiques pour limiter les ravageurs. Il y a aussi toutes les révolutions lentes qui sont déjà à l'oeuvre aujourd'hui, comme le retour à des rotations de cultures plus longues - grâce à une autonomie fourragère- qui nécessitent moins de pesticides. Pour diffuser ces bonnes pratiques, nous utiliserons le réseau de fermes Dephy qui passera de 2.000 à 3.000. Chacune d'elle transmettra ces outils pour atteindre l'objectif de 30.000 fermes sensibilisées à l'agro-écologie.
La réduction des produits chimiques va aussi se faire par la base, avec l'instauration de Certificats d'économie de produits phytosanitaires au près des distributeurs. Ces fournisseurs auront l'obligation avec un système de bonus malus de réduire leurs ventes de pesticides de 20% d'ici 2020 en proposant des solutions alternatives aux agriculteurs, comme du matériel ou de la génétique.
Autant d'engagements qui ne se feront pas pour l'instant au niveau européen...
Il faut en effet une harmonisation européenne plus forte pour éviter la distorsion de concurrence. Aujourd'hui, ce sont les agences nationales qui délivrent les autorisations sur les produits. D'un pays de l'UE à l'autre, la réglementation diffère. On peut donc avoir un produit interdit en France mais qui se retrouve dans nos assiettes via l'importation d'aliments. Le ministre Stéphane Le Foll vient d'interpeller Bruxelles à ce sujet.
Si les pesticides sont autant utilisés, c'est aussi parce que l'agriculture française privilégie un type de cultures très sensible. Ne faudrait-il pas revoir certains choix agronomiques?
Effectivement. Et dans ce cas de figure, les aides sont un levier puissant. En encourageant une Politique agricole commune (PAC) plus verte et en privilégiant l'élevage, mais également une alimentation plus locale et de meilleure qualité, l'agriculture pourra évoluer. Le pouvoir d'influence passe par ces aides européennes. Il faudrait davantage les conditionner à des cultures appliquant la rotation. Il y a aujourd'hui encore trop de dérogations pour ne pas faire de polyculture. Le gouvernement a un pouvoir réglementaire pour interdire un produit, mais pour remettre en cause la monoculture, il faut des incitations. Pour faire évoluer les pratiques des agriculteurs et revenir à la diversité, il faut un moteur économique qui passe par le prix et les primes.
Au delà des primes, quels sont aujourd'hui les derniers points de blocage?
Le lobby agro-chimique est puissant et le changement de pratique comporte des risques économiques... Il faut donc un soutien aux agriculteurs et une garantie apportée par un territoire, une coopérative...
Mais je suis persuadé que l'agroécologie est la solution à la crise agricole actuelle. En important moins, en étant plus autonome, nous améliorons la production. Cette transition vers l'agroécologie, qui va permettre une diminution des pesticides, est désormais engagée. Elle est attendue par la société.