Des élections départementales, on retiendra qu'elles confirment la réalité de nos déchirures sociales. Ipsos livre un diagnostic clair : un électeur sur deux a choisi de ne pas aller voter ; parmi eux, 64% des moins de 35 ans ; et le Front national a capté 42% du vote ouvrier.

La France est installée dans l'ère de la défiance. Comme si notre République, notre «maison commune»ne parvenait plus à convaincre ni à rassembler. Entre ceux qui s'en sentent exclus, ceux qui affichent leur volonté de ne pas l'intégrer entièrement et ceux qui contestent frontalement ses valeurs, les failles de notre vie collective sont mises à nu. La vision d'un pays qui se lève, à l'unisson de valeurs partagées, paraît loin. Le 11 janvier se conjugue malheureusement déjà au passé.

 

Trop de non-dits, de sujets tabous, une parole publique monopolisée par des «semblables», des «invisibles» qui se résignent à leur sort en s'abstenant, ou qui choisissent de mettre à bas le système en utilisant le vote FN : il y a urgence à ce que la République redonne la parole aux Français «en mal de République». En février, dans son «baromètre de la confiance politique», le Cevipof publiait des statistiques éclairantes : quand 61% des Français estiment que «notre démocratie fonctionne mal», quand 77% d'entre eux estiment être moins entendus aujourd'hui qu'il y a dix ans et que 44% suggèrent de «demander directement l'avis des citoyens avant de prendre des décisions» afin «d'améliorer le fonctionnement de la démocratie en France», chacun perçoit l'intensité d'une attente, dont le débouché devrait être conçu avec eux.
 

D'autres pays, confrontés à des situations voisines, ont trouvé des réponses pertinentes, à l'instar du Québec dans les années 2000 : s'appuyant sur un dispositif consultatif exigeant, la démarche mise en oeuvre a contribué à restaurer un vrai dialogue avec et entre les Québécois, permettant de dépasser les tensions sociales qui le traversaient et de responsabiliser certains acteurs, comme les médias. Ces expériences partent d'une même idée : pour refonder, il faut d'abord débattre de ce qui sépare, mais aussi de ce qui peut réunir.
 

Jaurès parlait de «démocratie radicale». Aujourd'hui, celle-ci pourrait consister à confier à des personnalités indépendantes, le soin d'organiser sur plusieurs mois, un temps d'échange avec les Français, sur tout le territoire : quelles sont les règles qui doivent organiser notre vivre-ensemble ? Quel est l'écho, dans la vie quotidienne de chacun, de nos principes républicains ? Quelles sont les évolutions que les citoyens jugent souhaitables et sont prêts à envisager ? Il s'agirait de donner à tous la possibilité de débattre collectivement des nouveaux équilibres et compromis indispensables à une cohésion restaurée (en parallèle, des travaux de recherche et de réflexion ad hoc pourraient être engagés). L'objectif : reformuler ce qui fait le lien entre nos concitoyens en les faisant «coproducteurs» de ce renouveau. Le sociologue Jean Viard prônait récemment un «rapport Gallois du social». C'est précisément cela dont nous parlons. Pour recréer le désir de partager le même destin.